Fantaisie forestière rousse
De bons débuts pour l’été 2023, bonus de rentrée : 6/5
Un petit défi estival.
Présenter juste le début d’une fiction.
Du coup, présenter au présent le 5° et dernier « Bon Début », déjà publié au passé.
Si quelque lectrice ou lecteur s’attarde sur ces prémices et selon leur avis, peut-être que…
Bonne lecture.
Plus Alboise avance, plus elle voit bien… que…
… Cette forêt…
… Bizarrement drôle…
… Mouais, c’est ça…
… C’est bizarrement drôle, ici…
Un frisson ambigu scintille dans son périnée. Véloce, il chatouille tout du long sa colonne vertébrale en scolopendre électrique et il irradie dans sa nuque rousse. Hérissée…
Alboise laisse mollement béer ses lèvres pulpeuses, malgré elle, ses papilles affolées sans raison.
Sous le frisson frétillant, son ouïe se met à capter des chants et mélodies d’oiseaux, d’insectes, de feuilles et de fleurs qui s’enroulent ensemble par-dessus un très lointain roulement de tonnerre.
… Je… je… je devrais pas être là… je…

Vénérables et hauts, très hauts, les arbres luxurient de ces feuillages chauds, rouge flamboyant de cet automne dit « été indien ». En plein printemps pétillant. La plupart portent de voluptueuses feuilles, larges comme des mains de déménageurs, avec de longs doigts sorciers et dentelés, par cinq ou six. Elles se frangent de pointes ocres et se nervurent d’un orange qui s’épice de sanguin.
Alboise n’en croit pas ses yeux gris, inquiets comme la mer d’Irlande avant la tempête…
… Des érables échevelés et ensorcelés ?….
… D’immenses cannabis psychédéliques proliférant dans les rêves d’une chenille disjonctée ?
De vagues saules pleureurs acidulé ondulent, méduses chlorophylles se trémoussant sur les pointes de leurs larmes.
D’autres vénérables, d’un onyx profond, s’étagent en parasols conquistadors. Ils arborent d’énormes chatons cotons-tiges intimidants qui peluchent à poils longs…
Alboise avance sans savoir vers où, avec cet enthousiasme acidulé, qu’elle essaie de réfréner.
… Ce n’est pas raisonnable, je ne devrais pas être là…
… Je ne sais même pas où je suis…
Cet enthousiasme jaune, acide et doux-amer qui attire autant qu’il effraie.
Son exaltation frétillante se piquète des chants envoûtants d’excellents oiseaux. Ils planent sur une fine brise iodée, aigüe, fluant et refluant limpidement. Ce murmure humide ressasse une vieille langue fourchue :
« Anál nathrach, orth’ bhais’s bethad, do chel denmha. »
Encore plus que tous les autres animaux « …bizarrement drôles… », tous ces insectes l’intimident !
Plus que tout.
Même les grosses lucioles sereines, silencieuses et scintillantes. Abeilles et guêpes véloces, scarabées caparaçonnés et vernis, coccinelles multicolores zézaient sans cesse des urgences sinueuses. Les essaims essaiment, bourdonnent et vrombissent. Leurs rythmiques se zèbrent d’envolées lyriques fredonnées sur fonds aiguisés de modulations diatoniques comme dans ces vieux chants mongols aromatisés de steppe éternelle qu’elle a découverts par hasard avec les « The Hu » qu’écoute son nouveau petit copain, métalleux ethnique.
Alboise craint que ces voltigeurs véloces ne se piègent dans sa longue et épaisse crinière rousse, retenue par deux longues tresses étroites !
En escadrilles stridulantes à visibilité réduite, ces insectes voltigent sans jamais se percuter, au milieu d’une douce tempête de milliers de pétales et pollens. Ils enneigent l’air de parfums discrets mais capiteux. Ils affolent l’odorat en émoi d’Alboise. Son nez légèrement aquilin, et un peu trop long, se retrousse sous ces assauts jasminés pour éviter l’éternuement inconvenant.
Et puis…
Tous ces autres animaux !
Qu’elle hésite à regarder, à détailler.
Qu’elle note juste du coin de l’œil. Pour ne pas se persuader qu’elle a sombré dans la déraison.
… Je ne devrais pas être là… je…
… Je devrais être ailleurs… je …
… Je suis ailleurs… Je suis d’ailleurs….
Les herbes hautes et souples ne cessent d’onduler sous les insinuations sinueuses de serpents aussi rutilants que des parures de pierres précieuses. Ils dérangent d’énormes chats grognons à la fourrure bleue soyeuse, marbrés d’un profond vert malachite.
De temps à autre, décolle à son approche une grenouille rouge avec des ailles de geais, un lézard vert emplumé multicolore façon reptile maya…
… Je n’ai rien à faire ici…, ressasse sans cesse Alboise avec au fond de la gorge une inquiétude astringente.
Et qui si quelqu’un d’autre s’en apercevait et
… Qu’il me retire de ce monde… … Qu’il me retire ce monde…
© Georges FOVEAU – mai-août 2023