Égarements et imprévus estivaux 002.
En l’espace de seulement 3 petits jours, leur vie quotidienne s’était transformée en un amer enfer grinçant. Les cigales grattaient et récuraient les oreilles, partout, dès l’aube. Pas un pas sans écraser une armée d’exuvies craquantes, sèches comme l’âme d’un Puritain hantant ce morne rivage depuis deux siècles.
Incongrue sous leur climat nord-américain, cette plaie d’Egypte s’était extrait hors de la terre. Insidieuse et fielleuse, elle gisait là, depuis une éternité, à rêver plutôt qu’à se dessécher.
Leurs raclements railleurs vantaient une couleur tombée du ciel, calamité métallique astringente.
Ces insectes irritants ne furent providence pour personne…
Surtout pas, a priori, pour l’étriqué et souffreteux Howard. C’est bien à cause de cette monstruosité météorologique naturelle qu’il commença à souffrir d’immondes terreurs nocturnes.
Elles ne le quittèrent plus jamais.
Surtout après cette cuisante après-midi…
A presque 8 ans, haut comme trois pommes à genoux, l’infime Howard se rendait à la bibliothèque de Providence. Par crainte des insectes rythmiques, sa longue face de carême rance s’enfonçait dans ses frileuses épaules étroites. Avec répugnance, il broyait sous ses petites chaussures vernies tout un épais tapis de carcasses tressautantes, grinçantes comme dents de momies sous la pince du pilleur de tombe…
Soudain un essaim vengeur de ces cancanneuses effrayées fouetta vindicativement son visage de profanateur !
Elytres en folie, les rieuses de la canicule fuyaient un fantôme meurtrier, en cagoule de drap blanc, qui tentait de leur pulvériser quelque fatal remède de sa décoction, à même le tronc d’un gigantesque séquoia qui n’avait plus connu autant d’insectes depuis la fin de l’ère glaciaire…
Le chétif homoncule horrifié par l’indicible meute à l’hallali hurla !
Tout tassé de terreur en brindille frémissante, le petit Howard ouvrit ainsi un écœurant passage à deux ou trois cigales. Elles s’engouffrèrent dans ce trou noir d’épouvante cosmique. Les invasives caparaçonnées craquèrent sous ses dents, claquées par réflexe, tandis que les autres furies lui fouettaient cruellement le visage et les mains de leurs élytres effarés.
Howard crut longtemps que la horde cicadidée l’avait intentionnellement attaqué, commanditée par une force occulte malfaisante qui désirait ardemment sa mort, pour quelque obscur motif…
Bêtement, tout avait commencé par une trop forte vague de chaleur.
En cet été 1898, la canicule vint frapper de plein fouet la côte Est des Etats-Unis, jusque dans le très conservateur Massachussetts dont les habitants se coconnaient eux-mêmes dans un état de froideur rigide et pincée.
Des années plus tard, toujours hanté par cet incident hasardeux, toujours en proie à des cauchemars et des angoisses, pour d’autres raisons aussi, le toujours maladif et paranoïaque Howard Philip Lovecraft anima des crissements maudits de sa plume les immondes Funghis de Yuggoth.
Ce qui n’exorcisa en rien les crasseux crissements crayeux qui chuchotaient constamment dans chacune de ses propres ténèbres, suscitant d’une indicible terreur.
© Georges FOVEAU – juillet 2023
Ecriture : Des impromptus imprévus inédits…, venus par hasard.
Fictions, un tantinet surréalistes ou pas.
Celle-là, sous l’agacement indicible des cigales dès tout matin, sur une idée qui a parcimonieusement grincé en 2022.
Juste : HPL naquit le 20 août 1890, il aurait 133 ans… Vous avez dit 33 ?