Lectures juin 2021 : SF humaine, trop humaine…

Béotien en Science-Fiction, j’ai lu un peu par hasard plusieurs ouvrages relevant du genre depuis deux ou trois ans…
Entre deux pavés Neal Stephenson (ici) qui se joue beaucoup du langage jusqu’à l’ambiguïté (créativité dont je raffole…) et des méandres narratifs en dimensions superposées, je me suis attelé à des textes courts, souvent hybrides. Comme ceux proposés dans la collection « Une Heure Lumière », par exemple.

En ce mois de juin, sous couvertures d’Aurélien Police, j’ai enchaîné deux novellas du ténor SF Greg Egan : « À dos de crocodile » (2005 / Le Bélial’ 2021, traduction Francis Lustman) et « Le Château sous la Mer » (in le « hors-série 2021 », 2020 / Le Bélial’ 2021, traduction L’Épaule d’Orion)).

Greg Egan, et deux trois

Deux textes très différents. Mais qui ont un pont commun : l’attachement aux personnages et à la description de leurs interactions au travers de leurs aspirations.
Je me suis retrouvé confronté à une SF qui dépayse, qui met toujours en scène les sciences et techniques (la « Hard Science », dans le jargon, je crois…). Mais qui dissèque aussi aux travers de personnages profonds les motivations et les quêtes humaines.

J’ai poursuivi par un roman conseillé par Vincent Corlaix : « La Cité des Permutants » (1994 / Robert Laffont 1996, traduction Bernard Sigaud). Un texte très intéressant.
Je me suis un peu perdu dans les arguments scientifiques et informatiques que j’essaie toujours de comprendre, même si visiblement je ne suis pas doué.
Gênant pour moi. Mais pas décourageant.
Pour une simple raison…
Pour cette intuition née à la lecture des deux nouvelles et confirmée par le roman…
Ce qui importe chez Egan, ce sont ses personnages. Dans cette histoire d’humains « normaux » et de leurs copies informatiques douées d’existence(s) « propre(s) », pour autant qu’elles le veuillent et au point où elles le veulent, revient cette éternelle question de l’identité, personnelle et sociale. Et de la confrontation à l’altérité, fut-elle personnelle et interne. Qui suis-je, dans quelle dimension et dans quel état j’erre ? Comment et pourquoi ? Quelle facette de moi-même est bien celui que je suis ou que je veux être ?

Défragmenter
et ressasser

Greg Egan ne cesse de ressasser et de fragmenter et de défragmenter ces questions dans les trajectoires de plusieurs personnages, parfois les mêmes qui sont autres.
Qu’est-ce donc que notre identité parmi nos personnalités policées, censurées et si rarement permutées ?
Ce fameux transhumaniste si commenté ces dernières années, en fer de lance de l’immortalité virtuelle, est-il une réponse ? Pour qui ? Pour combien de temps ? Pour combien de « moi » ?
Commettrions-nous le pire qui nous hante si nous ne devions jamais en payer le prix ?
Assumerions-nous la culpabilité pour l’Éternité ?
Oublierions-nous ce qui nous déchire si nous le pouvions, tout en restant nous-mêmes ?
Que ferions-nous vraiment si nous le pouvions, à l’infini ?
Et lequel d’entre nous serions nous ? Vraiment ?
Car, par-delà la morale imposée, que sommes-nous capables d’accepter de nous-même ?
Cette question Wilde la posait et y répondait déjà à sa manière avec son « Portrait de Dorian Gray », que j’ai réécouté aussi ce mois-ci en écho parnassien des lectures de Egan. Mais j’y reviendrai une autre fois…

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Ténèbres écornées
en plein cœur

Pour rester encore un peu dans cette SF à laquelle je m’incite, un autre petit voyage qui confronte l’un à ses autres…
Dans la touffeur de deux soirées immobiles, j’ai suivi le voyage au « Coeur des Ténèbres » de l’écrivain Thomas Cradle.
Une odyssée sordide dans le sud-est asiatique sur les traces d’un ouvrage maudit et de son auteur.
Cette suite en jaune, mais sans roi, est retracée par Lucius Sheppard dans « Le Livre écorné de ma vie » (Le Bélial’, Traduction de Jean-Daniel Brèque. Couverture entre labyrinthe de bambous et fumerôles d’absinthe de Aurélien Police..).
Quête inquiétante plus que brutale, dérangeante parfois, surtout quand on a soi-même suivi un itinéraire âpre de pages publiées. Une dérive magnétique vers l’horreur de soi-même.
Dans une mystérieuse forêt de thé, quelque part dans le méphitique delta du Mékong, la fin de l’histoire vous colle à la peau comme une dernière chemise moite et sale…
Et à l’âme, comme un double bourbeux, démultiplié, dont on aurait préféré ignorer l’existence.
Une expérience.

© Georges FOVEAU – Juillet 2021

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