Je me suis couché samedi soir, c’était le 14° jour de l’été…
Lorsque je me suis réveillé, le lendemain, c’était le premier jour de l’automne. Il faisait frais et il pleuvait des cordes. Moi qui me plaint toujours de peu dormir…
Du coup je me suis laissé aller à l’ambiance gothique. J’ai fait du thé, du fromage frais à la marmelade de clémentine, du pain grillé. J’ai pris un bouquin bien dans l’ambiance. Je n’aurais pas osé l’aborder sous le torride de la veille. J’ai une complexion climatique de la lecture. Je ne peux pas lire certains livres lorsqu’il fait chaud.

Je profitai sans vergogne de ce temps décalé de refroidissement climatique pour me caler dans le canapé et attaquer « Ormeshadow » de Priya Sharma (2019, Le Bélial’ 2021, collection: Une Heure Lumière, traduction Sylvie Homassel, couverture Aurélien Police).
Un obscur joyau d’onyx crépusculaire aussi incandescent qu’une glotte de dragon.
« Ère victorienne en Angleterre… Clare et John Belman sont contraints de quitter Bath, moderne et sophistiquée, pour l’antique ferme familiale d’Ormesleep. Pour Gideon, leur fils unique, c’est le pire des déracinements. D’autant qu’Ormesleep est sous le joug de l’oncle Thomas. Figure tyrannique implacable, Thomas est aigre et brutal…
Les fabuleux récits de son père à propos des environs constituent l’unique échappatoire de Gideon : une légende familiale tenace au sujet d’une dragonne endormie, en colline maritime, dont l’un des membres de la famille Belman aurait la garde… » (adapté du résumé éditeur).
Âpre et noir
Le court roman de Sharma est gothique et romantique. Aux sens propres.
C’est à dire âpre et noir. Il glisse lentement dans les drames les plus mesquins, jusqu’à la catastrophe finale. Avec résurrection mais sans rédemption.
La vie à la ferme est dure pour tous et encore plus pour ce jeune Gideon plus habitué à la lecture. Surtout parmi ces êtres humains engoncés dans leurs passions, dans leurs besoins encore plus. Ici, nulle idéalisation de la vie en plein air ou des mœurs villageoises. Il faut travailler ou dépérir. Voire travailler et dépérir. L’âme la plus raffinée peut céder au plus bas instinct. Au pire désespoir. Le cœur délicat s’enlise vers sa perte.
Sharma dépeint un tableau du rustique victorien qui ne cède rien à un idéalisme de pacotille. Ce texte peut intéresser n’importe quel lecteur qui veut connaître la vie réelle de ces piètres campagnes de ces temps-là.
Toute l’existence s’y tisse de cette noirceur acide de la misère laborieuse et de ses cruautés sociales et familiales.
Plus lucide que son héros, Sharma y distille avec une finesse fielleuse le demi-mot, que l’on ne comprend que trop tard. Comme Gideon. Comme sur la paternité d’un enfant mort, par exemple.
Un roman sombre plus que fantastique, où ne brille que la luciole couvée de cette dragonne endormie depuis trop longtemps.
Une perle noire attisée du désespoir et d’un rêve de dragon.
LISEZ !
© Georges FOVEAU – Juillet 2021
Merci pour cette chronique littéraire en forme de presque nouvelle … encore une tentation à laquelle je vais probablement céder sous peu, en attendant, un jour peut être , une oeuvre personnelle, même brève…