Ce mois d’avril-ci, contre toute attente, j’ai fait dans la nouveauté…
J’ai même coincé la bulle hispanique pour les bons mots d’un Dandy en décomposition !
Je commencerai donc cette chronique par les 3 récentes parutions.
Brièvement, je briserai sur des lectures de PAL très en retard… Puisque certaines nouvelles le sont depuis 1877.
Mais avant cela…
Avertissement 1 : ces notules sont des impressions plus que des critiques. Surtout pas des résumés.
Avertissement 1 bis : certaines ont déjà été publiées au fil de la lecture sur Facebook et/ou ce blog.
Avertissement 2 : j’écris essentiellement du bien de ce que je lis… parce que je choisis très étroitement.
Avertissement 3 : j’écris rarement du mal parce que je n’ai ni place ni temps pour faire de la promo à ce qui ne me plait pas.
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Pulp de Poulpe
Réussir le deuxième quand on a été original sur le premier, en s’appropriant littérairement une mythologie déjà moultement pillée et magnifiée…
C’est un défi osé !
Gilberto Villarroel le relève avec panache, au tricorne !
Il nous revient avec un deuxième volume des aventures du « marin audacieux » : « Lord Cochrane Vs l’Ordre des Catacombes » (2018 / 2021 Les Forges de Vulcain). Toujours en Odyssée cape et épée napoléonienne. Toujours dans la veine fantastique.
Mais sur la terre ferme ; façon gruyère, tout de même.
Cette fois-ci, toujours accompagné du commandant Éonet, désormais mercenaire, Cochrane investit Paris pour affronter l’ordre maléfique des Catacombes, tout voué dans les profondeurs de la capitale à la fondation d’une église de Cthulhu.
Bref : de cimetières pas forcément marins en labyrinthes obscurs, d’embuscades à l’encens en combats épiques, de vétérans napoléoniens en savants fous inhumains dans une cité engloutie, Villarroël nous emmène à brides et vapeur rabattues dans une nouvelle aventure effroyable sur les traces de… Jules César et Vercingétorix à la recherche de R’Leyh.
Verve, efficacité, idées troublantes et malignes quant au renouvellement de la mythologie lovecraftienne, appel de phare à marée haute sur le tome 3 qui louche du côté des Montagnes Hallucinées…
Et un clin d’œil gourmand à un champ de bataille !
Pari réussi, M. Villarroël !
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Une Tragi-Comédie
dandy
Les bulles lui vont si bien, à ce si cher Oscar.
Celles du champagne bien sûr !
Qu’il partageait à profusion avec les amis et les parasites, prodigue du luxe qu’il ne pouvait pas se payer…
Désormais, les bulles de la BD aussi font pétiller Wilde avec talent, dans ses pires moments, hors les murs…
Dans ces derniers instants.
Surprenante découverte, à la librairie La Licorne Aix, alors que « La Divine Comédie d’Oscar Wilde » de Javier de Isusi (2019 / 2021 Rackham Éditions) venait juste d’arriver…
Divine synchronicité ?
Ou le Malin à la manœuvre ?
Et comme je résiste à tout, sauf à la tentation…
Le pavé estampillé d’or est magnifique.
Et les quelques 376 pages sur format 15 x 21 s’effeuillent toutes seules au fil du lavis sepia de Javier de Isusi, tout à le fois intimiste et poignant.
La narration des derniers jours parisiens d’Oscar se tisse d’une enquête où viennent témoigner les principales figures qui y furent. Pour les connaître un peu, on croirait que c’est bien eux en personne ! En particulier ceux qui ont tendance à penser que le principal génie de Wilde étaient d’être leur ami.
Un seul de ses témoignages est légèrement erroné…
Mais peut-on être totalement lucide et juste lorsqu’il s’agit de la mise en scène d’une mort annoncée ?
De celle de Wilde qui plus est ?
Dans l’instant d’égarement d’une médium, Isusi confirme même une intuition qui me hante depuis 2012, époque où je fréquentais beaucoup le peintre en lettres du portrait de Dorian Gray.
Isusi offre une oeuvre magnifique de pudeur sur ce qui aurait pu n’être que bruit et fureur, sans négliger quelque revenant en caprices.
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Rare et envoûtante,
victorienne et gothique
« Les Voleurs de Curiosités » (2019) est le premier roman publié en France (février 2021) de la jeune romancière irlandaise Jess Kidd (superbement traduit par Laurent Philibert-Caillat, aux Presses de la Cité).
Sous ses allures de polar historique, cette histoire traque les collectionneurs de Curiosités et leurs sales manies de fétichistes de la monstruosité, fut-elle humaine.
Ce roman est une pure perle de fantastique gothique et victorien, en plein Londres…
Avec une puissance et une sensibilité toute irlandaise.
Jusque dans la racine même de l’histoire, inspirée des vieilles légendes gaéliques sur de redoutables créatures marines.
L’histoire ensorcelle et fascine. Il y a un doute pour l’enquêtrice Bridie Devine, qui aurait pu être médecin en d’autres temps. Mais le lecteur sait dès l’ouverture que toute cette histoire n’est pas raisonnable.
Odeurs frelatées,
émotions fortes
Pleine d’odeurs (pas forcément les bonnes…), de sens affolés et d’esprits tordus ou exaltés, cette description très naturaliste de Londres (petite musique ironique…) et de ses habitants tourne le plus souvent au peu ragoutant, quelle que soit leur condition sociale.
Le sordide, la violence, la maladie et la terreur s’insinuent partout et pour tous, puisqu’ils étaient omniprésents à l’époque, dans la plus grande ville d’Europe…
Avec un rien de magie, de temps à autres.
Portraits
qui intriguent
De Bridie Devine à Mme Bibi, gouvernante boiteuse et à l’âme moisie dès le plus jeune âge… De l’ignoble Gideon Eames au résolu docteur Prudo, artiste des mélanges à fumer et à inspirer… De l’inspecteur Rose, fine fleur des cognes, à Ruby Doyle, boxeur décédé, tatoué et aussi indispensable qu’inutile… Et puis… Des vicaires fous aux monstres de foire ou autres patrons de cirque… Sans oublier les déterreurs de cadavres et pas que dans le placard…
La galerie de portraits s’anime autour de drames qui se tissent dans l’urgence ou depuis des décennies…
De vive
voix
Mais c’est encore Jess Kidd qui en parle le mieux…
L’écriture riche de Jess Kidd enveloppe ou malmène, dans l’émotion comme dans la description, dans la tendresse comme dans la révulsion.
Jess Kidd délie une plume digne des plus talentueux conteurs irlandais. Avec tout le mordant du satiriste, en plus…
Ne rater pas ce roman-là !
Ne serait-ce que pour le Londres du XIX° siècle vue par une Irlandaise et toutes ces émotions hautes en couleurs ou pernicieuses, comme l’époque.
Un coup de chapeau à l’imagination, à la virtuosité pour les intrigues et au style, riche et cavalier autant qu’imagé, de Jess Kidd.
Juste une précision : même si vous êtes vous aussi adeptes des audio-livres, choisissez la version papier pour cette fois.
En effet, il n’existe a priori qu’une version audio en exclusivité chez un fournisseur et…
Il y a autant de bugs dans cette version-là qu’il y a de scarabées dans le corsage d’une défunte bucolique de l’histoire…
Dommage pour un si bon et si beau texte.
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Un deuxième Anatèm
Je me suis régalé avec le tome 2 de « Anatèm » de Neal Stephenson. J’avais lu le premier le mois dernier…
Dans ce volume de plus de 500 pages, Stephenson s’amuse et nous ravit par la même à l’occasion.
Avec un commando de choc improbable à l’assaut d’une « étoile noire » macchiavélique…
Bien arcbouté sur les bases parfois un peu exigeantes fondées dans le 1° tome du monde d’Arbre et sur les différentes visions du monde qui se disputent dans celui-ci, l’auteur profite d’une de ces théories, celle de ces plus puissants moines millénaristes, pour nous donner à lire des extraits d’autres versions de la même histoire qu’il aurait pu écrire avec les mêmes personnages, en fonction de points de disjonction narrative.
Les millénaristes d’Arbre appellent cela des « narés » différents… D’autres des mondes parallèles… D’autres des choix scénaristiques parfois cornéliens…
Un deuxième opus et une fin en façon de re-fondation qui ne déçoit pas.
Au contraire.
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Du polar dans les feuilles
Sur les conseils de Poupie, 10 ans, qui l’a dévoré et beaucoup aimé, j’ai lu le polar pour pré-ados : « Enquêtes aux Jardins : les empoisonneurs » de Guillaume Le Cornec et Romain Veilletet (2019, Le Rocher).
Où comment polar et botanique, mais aussi nouvelles technologies très en pointe, peuvent devenir les ingrédients d’une enquête trépidante aux personnages, crédibles, efficaces et attachants.
D’autant que l’histoire s’effeuille avec humour et pittoresque.
Une réussite pour les 12-15… Et jusqu’à 77 ans, au moins !
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Bizarre, vous avez dit :
« Bizarre »
Avec « Les Morts Bizarres » (1877 / 2009 « L’Arbre Vengeur ») de Jean Richepin me revoilà avec mes lectures « pas comme il faut… » d’avant le politiquement correct et le style indigent.
Des textes d’humour noir comme on avait encore le droit d’en écrire, d’en publier et d’en être félicité aux alentours d’il y a longtemps.
Des destins tragiques et outrés qui n’épargnent pas l’humain, trop humain.
C’est de bon goût mais de très mauvais esprits, à faire grincer des dents par ces destinées désolantes dans une société âpre.
Comme un avant-goût du Grand Guignol, entre autres.
Un peu de sang neuf… d’antan.
Donc…
LISEZ !
© Georges FOVEAU – Mai 2021