En mars, dédié au Dieu de la Guerre, des lignes placées sous l’égide du combat :
– combat poétique, au quotidien, pour subsister à une autre place que la sienne,
– combat contre le mal et les perversités bien humaines,
– combat contre des dangers venus d’autres mondes,
– combat contre soi-même dans des mondes étrangers qui pourraient bien devenir le nôtre,
– et, pour les plus fines mouches d’entre-nous, combat épique avec les black bass et les brochets.
Sans oublier quelques notes de musique.
Rappel : ces chroniques sont des impressions, plutôt que des critiques avec résumés.
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Donc, si j’élude mes picorages vespéraux et récurrents de bribes de Harry Dickson, de Lovecraft ou de Robert E. Howard (recueil « l’Homme Noir » au Masque en 1976, traduction de François Truchaud), je me suis laissé happer par :

Ponthus à la ligne…
9 vies ?
C’est par les hommages de Cyril Anton et d’Eric Poindron que j’ai découvert Joseph Ponthus et son « À la ligne – feuillets d’usine » (la Table Ronde, 2019 / Folio, 2020).
Exactement le livre que je ne serais pas allé chercher.
Mais ces deux messieurs m’ont donné envie.
Une espèce de longue stance racontant l’usine, les usines, de ce fin lettré inféodé à la pointeuse du besoin d’argent.
Qu’écrire sur ces lignes d’usine à la chaine ?
Que Ponthus est naturaliste, déchirant et drôle. Bouillonnant d’une générosité débordant sa lucidité.
Que je me languissais, avec un petit sourire complice, de me glisser sous la couette pour déguster ces lignes crues, franches, toujours sur le souffle avec ou sans fumée.
Que le point final cancérigène de son histoire littéraire, prolétaire et humaine, reste la pire ironie faite à une écriture sans ponctuation.
Un flux fort, aussi expressionniste qu’impressionniste. Poignant. Avec toujours ce petit sourire tendre sur les aiguilles de glaces remuglant la crevette ou le sang figé de l’abattoir.
Avec parfois une ou deux hallucinations exorcistes…
Comme en ce crépuscule hanté de ses lignes lues la veille qui ne cessaient de me revenir, après une nuit blanche. J’ai cru croiser Ponthus longuement flamboyant au volant d’un coupé BMW…
Comme l’allégorie romanesque fantasmée d’une juste revanche.
Merci.
PS : ces lignes de Ponthus m’ont redonner envie d’écouter, entre autres, « Nine Lives » de Mad Sin, pour la mélodie comme pour les paroles. Je vous la pose-là pour vos oreilles.
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Neal Stephenson,
toujours en réseau
J’ai connu tardivement Neal Stephenson, en 2019, en lisant « L’Âge de Diamant »(1995 / Payot-Rivages, 1996 / Livre de Poche, traduit par Jean Bonnefoy). J’ai eu un peu de mal au départ. Mais j’ai fini par dévorer les presque 600 pages en poche ! Encore une fois, je ne suis pas un lecteur de SF.
Et pourtant…
Ce fut un coup de foudre néo-victorien et anticipatif !
Sous des apparences d’aventures de prospectives rocambolesques, Stephenson nous plonge toujours dans le profond de l’humain et de ses sociétés.
Je m’étais aussi complètement immergé dans « Les Deux Mondes » (« Reamde », 2011 / « Le réseau » et « La Frontière », Sonatine, 2014, traduction par Héloïse Esquié), techno-thriller contemporain complexe, en 2 tomes.
Ces réseaux se tissent entre les Etats-Unis, Hong-Kong, plusieurs pays étrangers et un jeu de rôle en réseau MMORPG où finit par se dérouler une partie de l’action « réelle ». Actions confrontant des rôlistes en ligne, des mafieux russes, des hackers chinois et des terroristes…
À sa sortie française, ce roman avait été boudé par certains. En effet, il décrit, avec justesse et sans complaisance, l’organisation d’un attentat terroriste islamiste et le danger des agents dormants lorsqu’ils sont réveillés par des meneurs sanguinaires et charismatiques à des fins criminelles.

Anatèm, tome 1
Avec « Anatèm » (2008 / deux tomes, 2018, Albin Michel Imaginaire, Traduction Jacques Collin), nous revenons à une espèce de SF floue.
Les deux tomes racontent l’épopée d’un moine défroqué par les contingences sur une planète futuriste aux relents de post-apo moult fois rejoués.
Ce flou est un des grand charme du début du roman. Comme tout le long début de l’action se passe essentiellement à l’intérieur du monastère mixte, le lecteur l’impression de se retrouver dans un Moyen-Âge de Fantasy.
Et Stephenson de le ramener régulièrement (sic) au monde futuriste, acre et agressif mais technologisé, qui sévit de l’autre côté des murs, pas toujours protecteurs.
L’autre attracteur de l’histoire, surtout pour les amateurs de mots, s’incarne dans cette facilité étonnante que Stephenson déploie dans la création d’un vocabulaire spécifique à ses univers. Il distord des mots bien de notre monde ou en crée d’autres avec une astuce et une malignité qui, au lieu de dérouter le lecteur, l’immerge un peu plus.
Donc, après l’anathème lancé contre un des ses maîtres astronome, Frère Erasma devra quitter le convent. Appelé ailleurs par les autorités séculières et régulières effrayées par une menace sidérale, il entreprendra d’abord une autre quête.

Enthousiasme philosophique
et épique
Contre toute attente, je me suis régalé dans les 500 pages de ce premier tome : intrigant, dépaysant, titillant la cervelle du côté du vocabulaire et de la dialectique mais aussi du côté des mathématiques et des philosophies. Les intrigues se nouent à l’intérieur de ce monastère et de ce clergé comme dans ses intrications de plus en plus pressantes avec l’extérieur.
Stephenson nous livre une épopée enthousiasmante toute en nuances, en surprises via des clichés détournés et les tableaux d’une société en décomposition constante dans la violence sociale, politique ou inquisitrice.
Le talent fascinant de Stephenson tient bien dans sa façon de « recycler » à l’inattendu des thèmes, des figures, voire des lieux-communs sélectionnés de diverses cultures et divers genres dans des univers spécifiques et intrigant. Il crée ainsi une complicité, nourrie de sourires en coin et de surprises, avec son lecteur… Fut-il un béotien en SF !
Ces tremplins lui permettent ainsi de piéger son lecteur dans des réflexions plus profondes l’entraînant jusqu’aux sources et développements de la Philosophie ou des mathématiques et aux fondement de la vie en sociétés ouvertes, fermées, ambivalentes.
Pour celles et ceux qui désirent un avis plus éclairé sur les deux tomes, je vous renvoie aux critiques du blog pro : « Quoi de neuf sur ma pile ? », ici pour le tome 1.
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Cormoran ?
Strike back !
Ce mois-ci, j’ai aussi audio-lu la quatrième enquête de Cormoran Strike et Robin Ellacott : « Blanc Mortel » de Robert Galbraith, lu par Lionel Bourguet (« Lethal White », 2018 / Grasset, 2019 / traduction Florianne Vidal). Extrait en bas de la page en lien ici.
Une affaire trouble de chantage visant le ministre de la Culture Britannique juste avant l’ouverture des jeux olympiques de 2012. Un chantage compliqué par les souvenirs psychotiques du jeune Billy. Il assure qu’une enfant assassinée a été enterrée à deux pas de chez le sinistre ministre, quelques années plus tôt.
Une enquête alambiquée et tissée de contre-sens et de fausses pistes, avec un talent assez étonnant. Il ne s’émousse pas malgré les nombreuses chausse-trappes déjà utilisées lors des trois premiers opus. À chaque tome, Robert Galbraith s’immisce dans un « milieu» particulier de la société britannique, dans ses penchants, pendants et dépendances.
Après celui de la mode, de l’édition, de l’acrotomophilie, Galbraith s’attaque à l’aristocratie conservatrice, à ses morgues, ses faiblesses et ses errements. Mais il a la malignité de la mettre en dialogue, musclé et conflictuel, avec des figures frappantes de la gauche et de l’extrême gauche anglaise.
Outre la façons particulièrement alambiquée dont il tisse ses énigmes dont on croit saisir le fin mot aussi souvent qu’on se fourre le petit doigt levé dans l’oeil, quasiment jusqu’à la fin, Galbraith montre un talent exceptionnel pour faire vivre ses personnages. En particulier, leur « intérieur ». Leurs vies privées deviennent autant de ressorts qui titillent, actent et raccrochent l’intérêt du lecteur. D’autant que Galbraith n’hésite jamais à décrire ou signifier le cruel, le sordide, le douloureux, le mesquin et le malsain, même lorsque ce sont ses « héros »qui s’y laissent aller.
De quoi mettre à genoux n’importe quel lecteur !
Excellente lecture !
par une autre…
Lionel Bourguet se révèle être un lecteur particulièrement talentueux pour incarner les personnages comme les situations. Il sait en faire, sans jamais en faire trop. Et c’est un plaisir, lorsqu’on détour de certains mots, il trahit sa belgitude pour qui a l’oreille attentive.
Un extrait ici.

Galbraith…
Chez les sorciers ?
Pour extrapoler un peu vers la magie littéraire, devant la puissance et la finesse de Galbraith, on en vient à regretter que son alter ego jeunesse n’ait pas concrétisé une incursion adulte dans l’univers d’Harry Potter.
On se prend à rêver d’un one shot ou d’une trilogie : les enquêtes d’un Auror renfrogné trentenaire, unijambiste et borgne, façon Alastor Maugrey dit « FolŒil » (qui aurait pu aussi être surnommée « BelleGambe ») et de son associée, une sorcière sang de bourbe psycho-fine façon Hermione Granger dans la peau d’Eva Green. On esquisse déjà, dans le glauque et le violent, leurs traques de criminels malsains et malfaisants, obscènes et corrompus, s’adonnant à des cultes sadiques, à des rites orgiaques et indicibles pour réveiller les pires forces de l’humanité pervertie par les démons et les Mange-Morts…
Mais il est vrai, que dans les romans de Galbraith, les Moldus n’ont aucun besoin de surnaturels ou de démons pour se révéler malsains, sadiques, pervers, terrifiants et malfaisants.
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Crabb ?
Un gros poisson
J’ai connu Ned Crabb, il y a moult années (1982 ?), par l’inénarrable « La Bouffe est chouette à Fatchakulla » (1978/1980 Gallimard Série Noire), autre ovni du polar ricain avec « Sabbath dans Central Park », découvert à la mêle époque.
Drôle, bizarre et super bien mené… On s’étripe dans le Bayou avec férocité… Celle de l’auteur cynique étant la plus délectable.
Féru de Vernon Sullivan, j’ai longtemps cru à un canular littéraire de talent. Il faut dire, « Nez de Crabe », ça fait speudo de ce côté-ci de la Grande Marre…
« Meurtres à Willow Pond » (Lightning Strikes, 2014 / Gallmeister Noire, 2016, traduction Laurent Bury)est le deuxième roman de Crabb. Il se rapproche de l’eau avec ces meurtres insensés dans un lodge de pêche du Maine, enjeu d’une tragédie familiale, sordide et cruelle.
Crabb sait à merveille appâter, hameçonner et ferrer son lecteur.

Meurtres pour fines mouches
Je retrouve enfin ces grand espaces que je dévorais avec les premiers Gallmeister : la nature, les forêts, les lacs et les pêcheurs qui tirent à la ligne comme si leur vie en dépendait.
Crabb nous gratifient d’une galerie de personnages hauts en couleur, tous très bien esquissés puis détaillés, sur des décors qui oxygènent même lorsqu’une des héroïnes acariâtres est passée par les flammes.
Les rebondissements et les intrigues se mêlent et dévident les moulinets avec finesse et une légère lenteur soigneusement gérée par une fine mouche.
Un petit plaisir de lecture, noir, jubilatoire et oxygénant qui fait du bien dans le léger et l’efficace…
Jusqu’à la dernière ligne, savoureuse…
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un court texte « malaisant »
« Les Agents de Dreamland » (« Agents of Dreamland », 2017 / Le Belial’, 2020, traduction Mélanie Fazi) est une novella noire et désespérante qui reprend une partie du « bestiaire » de Lovecraft, dans un contexte très contemporain avec des flashs dans le futur proche.
Cette novella lie divers éléments disparates de cette mythologie (couleur tombée du ciel, Fungi et Mi-Go de Yuggoth, cultistes hallucinés marginaux…) en une logique terriblement asservissante.
Avec talent et succès, ce très court roman jongle avec les codes du roman noir américain récent. Il vous plonge très vite dans un malaise viscéral et psychologique par son réalisme paranoïaque qui rappelle des ambiances de notre quotidien de lecteur tétanisé.
Une courte lecture terriblement noire, angoissante et effrayante.
Un must !
© Georges FOVEAU – avril 2021